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Partitions qui cogitent
9 juin 2014

Des verticalités correspondantes

Il y a longtemps que j'aurais dû m'activer à mettre à jour cet espace web peu actif, or voilà une métonymie de mon manque de proactivité. Si je ressentais le besoin de laisser voguer ma plume virtuellement, c'est parce que j'ai passé près d'un mois à découvrir le Guatemala témérairement. Voyageuse peu aguerrie suis-je, l'écriture me paraissait comme une échappatoire on ne peut plus réconfortante. Cela étant dit, l'absence de messages n'est point hasardeuse. Certes, elle peut relever de tout l'éparpillement qu'on me connaît, mais elle est surtout due à l'émerveillement que le Guatemala a pu me procurer, contre toute attente.

L'idée de partir m'est venu par un coup de tête, alors que je suivais un cours de méthodologie qualitative destiné à la recherche-terrain en développement international. Simple discussion aléatoire de la part de mon professeur nous suggérant de jeter un coup d'oeil au syllabus d'un cours de recherche-terrain pour mai 2014. Le lisant, des rêves se sont éveillés à nouveau en moi. La sensation de découvrir un autre monde, cette soif anthropologique, voire cette curiosité de consolidation historique; tout cela a fait résurgence en moi. Étudiant en développement international et mondialisation depuis près de deux ans et quelques mois, ma vision du monde a tellement migré d'un antipode à l'autre. Naïve comme je suis, je voyais initialement le développement international comme un terreau fertile de l'altruisme. HAHAHA! Maintenant, j'en ri tellement. Il n'y a rien de tel en développement, surtout pas en développement international. Du moment qu'il y a un don, c'est-à-dire du pur altruisme, il y a rapport de pouvoir. S'opposent donneur et récipiendaire, plus couramment créancier et débiteur. Là où se tisse le don, se déferle tout un pan de redevances, de reddition de comptes. Normal, à vrai dire. L'humain et son besoin de concrétisation veut voir fleurir ses investissements. Pour des raisons de dissonance culturelle, cette loi ne s'applique que rarement; du moins pas comme il le fut escompté.

Le développement international, ce n'est ni l'étude du progrès, ni l'avènement d'aide immuable de souche occidentale. L'un et l'autre ne se conjuguent pas, outre les aspirations de quelques présidents américains un peu trop arrivistes. En fait, je me suis surprise à y découvrir la complexité du monde globalisé au système financier post-Bretton-Woods (flottant), aux fouines politiques d'ajustements structurels, aux décennies perdues, aux éléphants blancs, aux costumes qu'adopte incessamment la colonisation réminiscente. J'ai surtout compris l'ampleur d'un rayonnement hégémonique qui se renouvelle depuis des siècles. J'suis pas la première à y songer. Avant moi, notamment, et avec immensément de brio : Hardt & Negri, Gramsci, et bon le fameux Huttington avec sa prédiction suprême d'une confrontation des civilisations. Tous les grands empires s'imposent et sont aussi avides que l'Avare de Molière. La différence près : on ne veut cumuler des pièces de monnaie dorées, nenni; on s'entiche de territoires plus grands et de docilité colossale. C'est, curieusement, l'homme qui contrôle la population (petit clin d'oeil à l'anthropomorphisme, ici). C'est l'État; le tout dont les multiples parties, bureaucratiques, sont humaines. En l'occurrence, un peuple qui éjecte outre-mer ses façons de faire, comme s'il était possible de reproduire les révolutions industrielles parfaitement, par exemple, ça revient à tout cela, pour moi. Chose sûre, il est impossible de renverser l'histoire et d'effacer les siècles d'oppression entre colonisés et colonisateurs; les siècles d'injustes ponctions économiques et d'assimilation. Curieusement, voyager dans le Sud a encore une fois fait grandir ma vision du développement.

Quelques heures avant mon départ, le 2 mai 2014, ce fut la panique. L'idée de m'étendre pour un peu de repos avant mon vol de nuit ne fut aucunement lucide. Se réveiller en sueur à 2:00, terrifiée par le départ et l'imminence d'une grande vulnérabilité, ce n'est pas génial. En rétrospective, tous les aspects moins jojos de mon voyage datent de mon appréhension de celui-ci, à commencer des mois avant que je ne parte. Une fois les pieds au Guatemala, j'ai ressenti la crainte, cela va de soi, en particulier pour la langue (ils parlent fichtrement vite, ces Guatémaltèques!). Une quelconque fascination s'est néanmoins emparé de moi. Ce fut indescriptible. L'effervescence de la ville, l'ordre dans le désordre, la physiognomonie guatémaltèque, tout! Ce fut délectable pour les sens, cela excluant le sens gustatif. Là-bas, la gastronomie est à zéro, du moins pour les étrangers temporairement au pays. Si vous prévoyez voyager dans le Sud, surveillez votre alimentation. L'eau du robinet, c'est à éviter en tout temps, même quand on se brosse les dents. Envisagez également manger de façon récurrente (genre deux fois par jour au moins) : riz, pain, friture, frijoles (purée de haricots noirs frits), légumes marinés, papaye, poulet, parfois des avocats, soupe (au poulet), jus/eau aux fruits, mais surtout au sucre. Bref, une reconfiguration des sens est inévitable. S'attendre à toujours sentir les moteurs carburant de l'huile de chauffage (en ville) ou la fumée des méchouis (en région), à entendre la cacophonie des klaxons en pleine circulation (et c'est pas des petits coups cutes, nonon!), à remarquer la pudeur des gens (la bise se fait d'un seul côté; la poignée de main... c'est un effleurement), à être percuté par nombre de contrastes de richesse qui frisent le ridicule, à rencontrer, toujours, des gens incroyablement heureux. Tout cela, ça fait le charme du Guat! Puis, ce n'est pas tant de la pudeur... non. C'est plus en lien avec l'histoire coloniale : un peuple qui se fait taire apprend à être discret et muet. Toutefois, après un génocide toujours impuni, de voir ces Mayas (aucunement rancuniers, aucunement!) en rire n'a suscité l'incrédulité que chez nous, les recrues canadiennes; allez voir pourquoi.

La beauté du Guatemala, ça passe immanquablement par les gens qui s'y trouvent. Ayant côtoyé l'équipe de l'Asociation Cristiana de Jovenes là-bas, et ayant évalué de façon participative un programme de prévention de la violence juvénile, je peux me dire choyée d'avoir travaillé en partenariat avec des organisations du Guatemala. En dépit du statut mélioratif qui s'en dégage, cela étant à dessein, je ne vois plus le développement comme cette machine de productivité et de rentabilité. J'y vois plutôt un terrain mondialisé de rencontres et d'apprentissages, où des gens comme nous pouvons découvrir des méthodes innovatrices de développement. C'est, au fait, de venir valoriser les initiatives communautaires d'ailleurs, parce qu'elles manquent toujours de souffle, peu importe où elles se trouvent. Pourtant, elles sont si essentielles. Elles permettent, notamment dans le cas de l'ACJ, d'octroyer sentiment d'appartenance et confiance chez de jeunes participants qui ont fait le virage vers la paix. Cela veut dire beaucoup. De la violence, d'ailleurs, il y en a partout, et la crainte que nous construisons sans cesse à l'égard de l'étranger n'est fondamentalement qu'une projection de failles qui nous sont déjà environnantes.

Je peux certes affirmer que le choc culturel m'est parvenu une fois revenue au Canada. Me manque toute cette chaleur humaine, qui n'était peut-être qu'une façade de l'ACJ, toute désireuse de faire à bon vin point d'enseigne. J'peux dire que cette façade me manque. Je réalise qu'un rythme de voyage peut parfois être amenuisant parce que l'on attend, on ne fait rien, mais de revenir dans le grand besoin de performance d'ici m'est insupportable. J'aimerais tant que tous soient solidaires et que l'actualisation de soi devienne actualisation de groupe. Me comparer est fastidieux. Jouer mon violon pour jouer parfaitement, faire mon travail efficacement (pis encore : dans l'efficience), toujours avoir à se pousser. C'est certes stimulant, mais la réussite de groupe m'interpelle à ce jour davantage. L'individualisme est affligeant, ici. Mes lunettes roses me font sans doute voir le Canada en rouge sanglant, tout cela en raison d'un de mes printemps qui n'aura été érable.

Signé : Sissi Valier

Photo : Gustavo Garcia Solares

Guat

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S
Voir aussi : les correspondances horizontales, en immixtion avec les verticales.
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  • Voici un exutoire ouvert à tous. À savoir qu'à l'exception près des illustrations rassemblées ici, tout relève de ma propre création. Je vous exhorte à ne pas copier le contenu du présent blog. Cogitez par vous-mêmes, plutôt!
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