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Partitions qui cogitent
13 mars 2014

Comme une tasse qui tombe

Ça vous arrive pas de réaliser à quel point nous sommes automates? Peut-être que le réaliser est aucunement hors du commun, mais j'éprouve de la difficulté à comprendre la nature humaine. On aspire à tant de choses, on souhaite trouver sa niche et se démarquer. Moi j'comprends pus comment me démarquer à travers tant de gens qui se démarquent. Je vous regarde tous puis je respire à travers votre regard. Il m'arrive souvent de questionner mon intelligence parce que je suis en admiration devant l'intelligence d'autrui. Y'a des gens qui verbalisent tellement tout à la perfection; leurs pensées, leurs réflexions, leurs sentiments. Moi j'suis tout à l'envers. Ce que je pense, je le refoule, je crache tout croche, je sais pas comment communiquer, diantre. J'pense que je regarde les autres parce que je veux apprendre d'eux, je veux être comme eux. Des gens inspirants qui se disciplinent et qui finissent leurs exercices de mathématiques en 30 minutes alors que ça me prend une soirée à les compléter parce que j'y pense trop. Des gens productifs qui sont fiers dans ce qu'ils font : des doctrinants également pédagogues, des athlètes aux études, des médecins musiciens, des avocates mères de famille, des jeunes étudiants vibrants qui survivent avec deux emplois et sept cours en une session.

Le milieu académique est une fourmilière d'automates. L'éducation a cet effet étrange en moi : je ressens à la fois extase, ambition et blocage. On dirait que tout ce qui n'est pas formel n'a aucune valeur. Ce message sans structure, sans syntaxe, sans thèse bien étayée ou réfutée; il ne vaut rien. Nous formalisons tout systématiquement. Sans cadre, y'a pas de portrait. Tous, nous apprenons à faire la même chose, et nous nous émerveillons de cotes mélioratives pour ensuite ne rien faire de notre capital culturel, ou du moins ne pas l'utiliser pleinement. J'ai l'impression de bourrer mon cerveau comme on bourre une tasse de sucre pour éviter l'amertume dans la recette finale. Pis encore, j'ai l'impression de ne jamais travailler réellement fort.  L'amertume ne tombe jamais. Il manque toujours de sucre, il est toujours vain d'en rajouter. Y'en a toujours un qui est plus remarquable, plus digne. Y'en a toujours un qui formule mieux, qui raisonne mieux, qui se distingue plus. Au final, y'a toujours cette quête de méritocratie extérieure et mutuellement exclusive par rapport à ma personne. Rien de plus typique.

Au centre de la petite-enfance, jeune, je ne dînais pas. J'observais. Des petites gamines aux cheveux blonds et aux belles peaux soyeuses qui attiraient les mignons gamins du quartier; des beaux souliers bleus sur le tapis d'entrée, des boîtes à repas plus sympas que la mienne. C'est l'histoire de ma vie. Les autres, c'est moi. Je n'ai jamais su valoriser ce que j'avais, seulement ce que les autres avaient. Ritournelle encore une fois banale, je tentais de me démarquer en n'étant pas comme les autres fillettes. Moi, des souliers bleus ou des robes moulant les pré-nichons, non merci. C'était plutôt l'histoire des salopettes cargos, des attitudes sportives et des barbies étranglées. Je détruisais consciemment les portraits du commun en ne sachant pas que de rétorquer ainsi, c'était une affirmation de ces coupures sociales.

L'intelligence, c'est le tourment de ma vie. Somme toute, il s'agit d'un pèlerinage, chez moi. La seule façon de la valider, c'est par les évaluations qu'on fait de moi. Le seul fait d'interagir a longtemps été vestige d'évaluation. Je dis vestige parce que je me souviens de toutes (sans en oublier une seule, oh non) mes évaluations honteuses. J'suis pas capable de les effacer. Elles seront toujours le spectre d'un potentiel déclin de mes acquis du savoir. Ah oui, tout le monde vit des évaluations honteuses, je n'ai pas à m'assécher ainsi. Rien de distinct, certes. Petite anecdote, tout de même cocasse. Quand j'avais 17 ans, je commençais mon premier emploi. J'étais caissière dans un Métro près de chez moi. Pendant tout un été, je me souviens d'avoir souffert de gêne chronique. À chaque client qui se pointait à ma caisse, je devais contrôler mes rougeurs; je me mettais à rougir à un tel point qu'on m'octroyait souvent des pauses de 15 minutes parce qu'on appréhendait un évanouissement. J'avais tellement peur d'interagir avec les autres. Je pensais que les gens allaient trouver mes manies bizarres, mon service pas assez rapide, ma peau boutonneuse, sale, grasse, rouge. Je rougissais en essayant de contrôler mes rougeurs. À tout ceux qui se reconnaissent ici, je compatis. Par ailleurs, j'peux pas me souvenir d'un solo que j'ai pleinement réussi au violon, à moins d'avoir joué "Ah, vous dirais-je maman!". J'peux pas me souvenir d'une compréhension optimale d'aucun phénomène, ma connaissance générale étant maigre. J'peux pas me souvenir d'avoir jubilé un jour devant un problème mathématique traitant d'autre chose que des corrélations linéaires ou de la complétion du carré que j'ai enfin assimilée après au moins 150 essais. J'me souviens d'avoir eu les pires notes de mes classes, et du moment que ces scénarios ressurgissent à ce jour, c'est le jeu de serpents et échelles qui se répète. Je ne retiens que les crevasses de mon apprentissage, que ça. Mon pèlerinage est un jeu à somme nulle entre moi et autrui.

Automates sommes-nous, je m'en désole. Pour moi, maintenant, la rencontre de l'autre est surannée. J'ai compris que je suis l'autre, donc l'autre devient sans intérêt. C'est toujours la même histoire qui se reproduit, que je reproduis moi-même. C'est une histoire dénuée d'importance, comme un rejeton qui ne se déploie jamais plus. J'vous demande pas de lire ce message, pour la plupart vous ne le lirez jamais. Ça me va. Je sais déjà ce que vous direz puisque de toute façon, mon moi est une symétrie de vous. Comme une tasse qui tombe, mon contenu fait florès partout et nulle part. On tasse ça dans la tombe.

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Partitions qui cogitent
  • Voici un exutoire ouvert à tous. À savoir qu'à l'exception près des illustrations rassemblées ici, tout relève de ma propre création. Je vous exhorte à ne pas copier le contenu du présent blog. Cogitez par vous-mêmes, plutôt!
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